Par Esther Girard, ing.
Le 18 février 2004
CSAR 1972-1974
Je suis arrivée dans le CSAR au moment où les fondateurs étaient déjà partis pour étudier à l’université à Chicoutimi, à Québec, à Sherbrooke ou à Montréal. J’y ai un peu vécu la fin du club et j’ai veillé à la transmission au collège d’Alma de ce que l’on nomme couramment en comptabilité : les Actifs.
Dans ces maigres actifs, il y avait pourtant une pièce inoubliable et un peu incongrue qui était une extraordinaire machine à écrire électrique de marque Hermès. Celle-ci était munie de caractères européens scientifiques Geneva, ce qui représentait un luxe et un raffinement peu commun à ce moment-là. En effet, il faudra attendre bien des années plus tard l’invention des ordinateurs MacIntosh pour revoir cette calligraphie si distinguée.
Pour moi, s’il existe un symbole de la richesse du CSAR, à part bien sûr, des ballons-sondes, c’est bien cette inexplicable machine qui a servi à dactylographier tous les travaux du Club à Alma. Y compris les plans de constructions et les articles du journal Véga pour lesquels nous avions inventé, avant l’apparition de l’informatique, les marges justifiées. C'est-à-dire que nous espacions nous-mêmes les mots en fin de colonne afin de donner une allure professionnelle à nos textes.
À cette époque, chaque étudiant pré-universitaire se devait de s’acheter une machine à écrire portable et dans sa dernière année avant de partir, il était fort recommandé d’apprendre à s’en servir et si possible, d’apprendre une vraie méthode professionnelle pour dactylographier.
Pendant les absences de ma sœur aînée Myriam, j’en profitais donc pour utiliser à son insu sa machine à écrire et je tapais, le plus discrètement possible, des textes imaginaires pour perfectionner ma frappe. Cette malheureuse Olivetti était si légère que le retour des touches la propulsait dans les airs et qu’ainsi elle se promenait sur la table au fur et à mesure que l’histoire progressait. Je devais donc conclure l’action de la nouvelle avant que la machine ne se jette d’elle-même dans le vide.
En comparaison, la belle Hermès du CSAR, elle, offrait une stabilité incomparable. Une douceur sensuelle, un petit ronronnement de fond, des petits tacs propres et brefs. À son clavier, je me sentais vraiment comme une brillante scientifique et une écrivaine accomplie.
Quand vient mon tour de me préparer à partir pour étudier en physique à l’Université de Sherbrooke, ayant connu la qualité de cette machine exceptionnelle, j’en voulus une similaire. Pour des raisons pratiques et budgétaires évidentes, il était impensable qu’elle puisse être électrique, mais tout au moins ce serait une Hermès avec des fontes Geneva, de cela j’en étais certaine. Peu importe ce que cela ma coûterait pour économiser ce qu’il fallait.
Mais voilà, impossible à acheter. Pas un seul magasin n’en tenait. Introuvable. Comme si cette mystérieuse machine était sortie tout droit de nulle part, ou peut-être bien tombée du ciel.
Par bonheur, comme j’ai toujours planifié mes affaires au moins deux ou trois ans à l’avance, j’ai donc fait affaire avec la librairie générale Antonio Girard, qui avait pignon sur la rue Collard à Alma. Et voilà que le bon gérant me commande ma fameuse machine et qu’après plusieurs mois d’attente supplémentaires à cause des fontes Geneva, je l’obtiens enfin en 1974.
Cette nouvelle machine était une sorte de petite soeur de la belle Hermès du CSAR. Si elle me tenait dans le même rapport hiérarchique malheureux que j’avais connu avec la première génération des scientifiques du CSAR, elle m’a tout de même permis de conclure mes études avec beaucoup de doigté. De fait, je l’ai gardée encore plusieurs années après avoir acheté mon premier ordinateur. Je ne m’en suis départie, d’ailleurs à regret, qu’en 1989.
À mon départ d’Alma, le club vivait ses derniers moments et j’avais transféré ses actifs au collège d’Alma. J’ai toujours espéré que notre bonne vieille dactylo ait continué à rendre des gens heureux aussi longtemps que celle qui l’avait remplacée dans ma vie.
Comme vous l’aurez peut-être deviné, je suis effectivement graduée en ingénierie en 1979 à Sherbrooke et en création littéraire à l’UQAM en 1986. Comme je le ferai vraisemblablement d’ici peu à Madrid en énergie.
C’est dire que cette belle petite machine européenne, qui était un vrai bijou de collection, m’a bel et bien ouvert la voie de ma destinée.
Esther Girard